Voici un texte écrit par un survivant, Le Jedi Masqué, sur l’amnésie traumatique, dans lequel il nous parle des mécanismes de l’amnésie traumatique et la manière dont il est possible de la gérer.
QU’EST CE QUE L’AMNESIE TRAUMATIQUE ?
Dans les grandes lignes, l’amnésie traumatique se forme en réponse à un événement vécu sur la combinaison de deux critères :
Cette combinaison d’éléments a pour effet de créer une dissociation, une sorte de scission dans notre psyché, et la création d’une partie isolée où sera stocké l’événement traumatique.
La dissociation peut être vue comme la création d’une zone de sas, de stockage qui, sous la surcharge des informations reçues,
dans l’incapacité de traiter ces informations, celles ci sont stockées dans un espace dissocié créé à cet effet, c’est un mécanisme adaptatif de survie.
L’espace dissocié intègre alors une combinaison de ces trois mémoires: physique, émotionnelle, et mentale, de l’événement.
Cet espace de dissociation peut continuer de fonctionner pendant des décennies, surtout s’il continue d’être activé par une continuation des abus, et/ou si l’environnement de vie promeut un déni de tout ce qui peut se rapporter à la nature des événements et à un narratif cohérent les concernant.
Y A-T-IL DES SYMPTOMES ?
Ces mémoires sont stockées et donc non traitées, ce qui veut dire que, bien qu’étant établies dans un espace dissociatif à l’abri de notre champ de conscience, elles sont tout de même présentes, en sourdine, dans notre quotidien, et s’exprimeront de diverses façons dans notre rapport au monde et selon les situations auxquelles nous seront confrontés.
Des gênes, des peurs, des allergies, des tensions psychiques inexpliquées, des douleurs fantômes à différents endroits du corps, des sensations de se faire manipuler, des sensations que l’on nous cache quelque chose, des nausées qui se manifestent, des migraines ophtalmiques, différents types d’hypersensibilité, d’hyperréactivité, sont des symptômes courants, parmi d’autres, d’une personne étant sujette à l’amnésie traumatique.
La liste de symptômes possibles à la présence d’une amnésie traumatique est longue, très longue, elle varie grandement en fonction d’un individu à l’autre, et aussi en fonction du stade de vie de la personne.
Je connais plusieurs personnes qui ont été diagnostiquées avec diverses maladies auto-immunes, mais une fois leurs mémoires commençant à ressurgir, une nouvelle lecture des troubles a été faite, et une amélioration des symptômes a commencé.
En ce qui me concerne, j’ai été diagnostiqué autiste asperger haut niveau. Un diagnostic qui m’a rassuré un moment, me permettant de comprendre la raison des efforts inouïs qui m’étaient nécessaires pour socialiser de façon mondaine et traiter certaines choses bénignes du quotidien. C’est également le cas de plusieurs connaissances. Encore une fois, lorsque les éléments traumatiques remontent, la lecture de ces difficultés prend une autre tournure, et celles ci s’estompent au fil de la gestion des mémoires traumatiques.
Le diagnostic du syndrome d’asperger, ainsi que de certaines maladies auto immunes, se base non pas sur des critères invariables concernant toutes les personnes atteintes/concernées, mais sur une collection de symptômes plus ou moins cohérents les uns avec les autres, lorsque ces symptômes sont suffisants en nombre ou en intensité, alors un diagnostic est posé.
Le problème est que « une collection de symptômes plus ou moins cohérents » qui varient en intensité et en nature, c’est exactement ce dont souffre la grande majorité des personnes ayant des troubles post traumatiques, et donc également les personnes en situation d’amnésie traumatique.
Je pense qu’il est confortable pour la médecine de diagnostiquer des autistes, troubles du comportement, troubles de l’attention, ainsi que différentes maladies psychiatriques ( les liens entre la schizophrénie et les traumas infantiles sont maintenant démontrés )
Lorsque l’on pose un symptôme, qui plus est un symptôme psychiatrique, cela remet le narratif de l’origine des troubles à plat, et la parole de la victime peut être grandement dépréciée. Par exemple il est aisé, pour un entourage persécuteur, de moquer la parole d’un membre de la famille interné en psychiatrie, et ce tout en prétendant s’inquiéter pour lui et sa santé.
Ainsi c’est à chacun de trouver la force en son centre, dans son individualité, de s’entourer de personnes bienveillantes et sans jugement, pour entamer un processus de pacification.
Au fur et à mesure que l’on guérit, les symptômes disparaissent un à un. Le chemin de guérison est un chemin de vérité. Traverser la vérité de ce que nous avons vécu, une vérité froide et dure, souvent innommable au premier abord, nous rapproche pourtant de notre être profond et souverain, de la chaleur de notre bonté première, présente naturellement en chaque individu.
La bonté première est présente en chacun de nous, avant que nous nous en éloignions, que ce soit de façon inconsciente ayant subi différents abus créant des traumatismes, ou de façon volontaire, en infligeant des douleurs aux autres.
POURQUOI GUÉRIR ?
Dans ma vie, j’ai toujours eu plusieurs douleurs fantômes qui se répétaient, sans vraiment savoir d’où elles venaient. Au fil de mon travail de guérison, de vérité, chaque fois qu’une mémoire d’abus se révèle qui concerne un événement ayant initialement causé ces douleurs, les douleurs fantômes relatives à l’événement s’estompent ou disparaissent.
A a sortie du film « les survivantes » , comme je me suis manifesté dans la salle de cinéma comme étant moi même un survivant des réseaux pédocriminels, une femme est venue me poser une question. « A quoi est-ce que ça sert de guérir ? ».
Il est vrai que les mémoires sont parfois tellement dures, violentes, elles nous ramènent à tellement de douleur, qu’il semble préférable de conserver quelques symptômes dans notre vie quotidienne en étant préservé de la dure et froide vérité, plutôt que de s’y confronter en vue d’un éventuel mieux être.
Le chemin de chaque survivant est unique, et chacun fait le choix qui lui semble juste en fonction de ses élans et ressentis.
Je tiens tout de même à dire ceci :
Et pour ce qui est du choix de faire le chemin de guérison ou non, j’ajouterai ceci : nous sommes bien plus fort que nous le pensons. Nous portons en nous des mémoires terribles, celles d’événement pendant lesquels nous étions complètement démunis, à subir la volonté perverse de personnes tierces.
Cette mémoire d’impuissance est engrammée en nous, et nous fait souvent croire que nous sommes toujours cette personne démunie n’ayant pas les ressources nécessaires pour faire face à ces horreurs. Mais les ressources se trouvent, en sont en nous sous forme de potentiel, le travail peut se faire, nous sommes plein de ressources insoupçonnées, qui ne se découvrent qu’une fois que nous faisons le choix du chemin difficile : celui de se libérer de nos poids intérieurs de façon progressive certes, mais pour de bon.
Le corps porte en lui la mémoire physique et émotionnelle des événements, et tant que celle ci ne sera pas traitée il essaiera, par des bais détournés, d’exprimer ce qu’il porte, voire, dans des cas les plus extrêmes, de le revivre en cherchant inconsciemment à recréer des situations similaires pour, d’une certaine façon, se remémorer à cet événement enfoui en lui.
Donc des élans incompréhensibles, des compulsions soudaines ou récurrentes, se présentant dans des circonstances particulières, des envies qui semblent être en désaccord avec nos valeurs, sont également des signes forts que quelque chose se trame en nous, dans les profondeurs de notre être, sur lequel nous n’avons pas encore mis la lumière de notre conscience.
Différentes addictions prennent souvent leur source profonde dans des mécanismes d’amnésie traumatique. L’addiction en tant que telle n’étant jamais le problème, mais plutôt une solution par défaut pour pallier à la souffrance intérieure. Elle sert d’anesthésiant face à des douleurs sourdes en nous que nous ne pouvons déchiffrer, et que nous ne sommes pas encore prêts à regarder.
Guérir, cela permet d’apaiser, voire de mettre fin, à tout un panel de symptômes et de limitations expérimentées dans le quotidien. Guérir nous permet aussi de retrouver notre souveraineté d’individu, sur notre vie, sur notre psyché, sur nos émotions.
Cela nous rend moins vulnérables à de nouveaux abus, cela nous rend moins vulnérables à la manipulation, et, également très important : cela nous rend moins aveugle à d’éventuels actes de violence commis autour de nous, potentiellement sur des personnes que l’on aime, notamment les enfants. Ce qui est dans notre inconscient, le cerveau le normalise. Si l’on se ment à soi-même sur les réalités violentes qui nous habitent et nous abîment, nous seront moins à même d’écouter l’autre dans ce qu’il vit, ou de repérer des signaux censés nous alerter, mais qui sont normalisés par nos systèmes inconscients.
Voici autant de raisons, selon moi, au bénéfice de la guérison.
POURQUOI CALMER LE SYSTÈME NERVEUX ALORS QUE C’EST LE CHAOS A L’INTERIEUR ?
Les informations sont stockées dans notre corps et dans notre cerveau, sans que nous y ayons pourtant accès, car le système de sécurité intérieur attend le moment opportun pour nous mettre en contact avec ces informations.
Le moment opportun, en général, se présente quand un ou plusieurs des facteurs suivants sont présents :
Un exemple : alors que j’étais à l’étranger à l’autre bout du monde, à une période où encore aucune des mémoires d’abus n’avait fait surface, j’ai revécu une scène d’une limpidité extrême, des femmes et des enfants nus ou peu vêtus, en souffrance, dans des cages. Sur le moment je n’ai pas su comment interpréter cela, et il a fallu bien des années avant de pouvoir replacer cette scène dans son narratif, avant de comprendre que c’est quelque chose que j’avais vraiment vu de mes yeux. La distance géographique et le cadre neutre ont permis à ces flash limpides de se manifester, même si je n’étais pas prêt, à l’époque, à concevoir la vérité dans son ensemble.
Le système nerveux est assez basique tout compte fait. Il a plusieurs modes d’activation qui peuvent se recouper en deux catégories.
Les modes de survie : combat, fuite qui sont liés à la branche dite sympathique, et sidération qui est liée à la branche parasympathique que l’on appelle vagal dorsal.
Les modes de régénération, qui sont liés au parasympathique ventral. L’un d’eux est celui de la détente, et l’autre, lorsque le système nerveux est parfaitement équilibré, est la capacité de rester en mode de régénération tout en étant actif, c’est ce qui a été nommé le vagal ventral.
Les modes de survie mettent le corps dans un état de stress. Pour le combat ou la fuite, des hormones de stress sont produites, dont le but est d’activer une activité physique intense pour se préserver d’un danger extérieur. Pour la sidération, la biochimie du corps nous amène au contraire à figer nos appareils physionomiques et se faire le plus discret possible. Dans les deux cas il y a de fortes décharges d’hormones dont le but est une activation spécifique sur le court terme, pour la survie.
Lorsque des mémoires traumatiques ne sont pas traitées, se mettent en places des systèmes d’hypervigilance, avec des déclencheurs, qui vont nous rappeler inconsciemment les abus subis, et ainsi déclencher les « modes de survie » du système nerveux.
Nous nous retrouvons donc en mode combat, fuite, ou sidération, alors qu’il n’y a pas de danger objectif sur le moment.
Ces activations peuvent avoir lieu de façon soudaine et violente, ce qui les rend facile à identifier, ou bien se mêler de façon plus sournoise dans notre relation au quotidien, devenant au fil du temps ce que l’on pourrait confondre avec des traits de caractère.
Il faut savoir que lorsque le système nerveux se met en mode survie, un certain nombre de fonctions sont ralenties ou arrêtées dans notre corps.
Parmi elles : la digestion, la pousse des ongles et des cheveux, la régénération cellulaire, l’activité du système immunitaire, la régulation des cycles circadiens et ceux du sommeil.
Inutile de vous dire que lorsque ces fonctions sont inhibées de façon régulière, des troubles s’en suivent.
La régulation du système nerveux nous permet d’apporter plus de résilience à ce dernier, ainsi il lui est possible de mieux gérer les stress, de mieux réguler nos systèmes internes. Cela promeut une meilleure santé physique, une meilleure gestion des émotions, et une meilleure clarté mentale.
COMMENT GÉRER LE «DÉBIT» DES REMONTÉES ?
Lorsque des mémoires commencent à faire surface, cela peut se passer de différentes façons.
Cela peut se passer par des flashs soudains, d’une extrême clarté sensorielle. Cela peut aussi, au contraire, arriver par des sensations troubles et informes, mais gagnant en intensité, on sent que quelque chose en nous est présent, sans savoir encore de quoi il s’agit. Ou bien sinon, de façon plus obscure encore, des symptômes divers ( tensions, douleurs fantômes, crises d’angoisses, dissociations, . . . ) se font de plus en plus présents.
D’une façon générale, il y a deux grandes tendances lorsque les mémoires font surface. La première est la peur et le déni de ce qu’il se passe en nous. On installe une sorte de contrôle ou de verrou, pour éviter de faire face à l’élément dangereux. La deuxième est au contraire l’envie de savoir, et la frustration de ne pas avoir plus de détails, ce qui nous permettrait de mieux comprendre.
Ici comme dans beaucoup de situations, il est bénéfique d’adopter une posture mesurée, et de ne pas tomber, comme nous l’avons vu juste avant, dans le combat ( vouloir à tout prix tout savoir) ou la fuite ( bloquer les mémoires en essayant de contrôler les symptômes).
Le fait est, du moins de mon expérience et de ce que j’ai pu comprendre à ce jour, que les mémoires remontent d’elles-mêmes lorsque nous sommes «prêts». De ce fait, il est bon de passer plus de temps à préparer le terrain ( détente, respiration, cultiver un environnement sécurisant ) que de forcer les remontées.
Lorsque l’on a peur de ce qui se cache, ce qui est tout à fait normal, cette peur génère de la tension, du stress chronique, car on sent que si on se détend, des choses vont émerger qui nous sont ( ce que croit notre système ) potentiellement fatales. Il est possible de cultiver, en parallèle à la détente, un discours intérieur, qui nous amène à gérer ce que nous laissons remonter ou non. Nous pouvons parler à notre inconscient, lui donner des instructions.
« Ecoute, là je ne suis pas prêt à voir ce que tu as à me montrer, alors laisse-moi me détendre, me solidifier, et après on verra ». Une fois que l’on se sent suffisamment solide, que l’on juge que les conditions sont réunies, «c’est bon, je suis prêt à voir ce que tu as à me montrer, j’ai besoin que l’on y aille progressivement s’il te plaît ». Vous serez surpris de l’efficacité de ce discours intérieur, vous découvrirez que vous être beaucoup plus en maîtrise de la situation que vous n’osiez l’espérer.
Bien-sûr, au moment où les mémoires remontent, il est difficile d’éviter le chaos émotionnel et psychologique. C’est pour cela que la capacité d’apaiser le système nerveux est tellement précieuse, ainsi que d’être entouré d’un certain nombre de personnes avec qui il est possible de parler ouvertement de ce qui se passe.
Comme le dit le psychologue qui m’accompagne sur ce chemin, «parler, c’est passer de l’informe au formulé.»
Les mémoires qui sont tout d’abord complètement masquées puis prennent soudainement vie en revenant à nous par le biais de nos sens perceptifs (des sons, des images, des odeurs, des sensations physiques…) , et enfin le fait de les formuler par des mots leur donne une forme tangible, plus facilement « archivable » par le cerveau. Et cela nous permet d’avancer : émerger > formuler > archiver, … émerger > formuler > archiver, …
Il m’est arrivé à plusieurs reprise de simplement laisser émerger ce qui se présente pendant un certain temps, mais sans prendre le temps de formuler et d’archiver au fur et à mesure, cela crée une surcharge de dossiers à traiter, pour ainsi dire, et cela rend les choses bien plus difficiles.
Donc le maître mot est de s’entraîner à s’octroyer douceur et confiance dans le processus. Se les octroyer à soi-même si l’on est concerné par l’amnésie traumatique, ou bien à l’autre si l’on se trouve dans une posture de soutien envers une personne qui vit le processus de découverte.
Forcer les remontées peut être dangereux et dommageable, et être dans le déni fait perdurer des symptômes et tensions internes dont on pourrait se libérer. Cultiver douceur, apaisement, détente, gestion du stress, dialogue, environnement sécurisant, permet au travail naturel de se faire en temps et en heure. Avant qu’elles ne remontent, nous ne savons pas ce qui est caché dans nos mémoires, nous ne savons pas l’intensité du vécu emmagasiné en nous, alors faisons confiance à notre intelligence intérieure plutôt que de forcer les choses. Et faisons confiance à notre force intérieure, plutôt que penser devoir tout enfouir 6 pieds sous terre, car en agissant ainsi ce sont des parties vivantes de nous que l’on enterre. Que la Force soit avec nous !
Le Jedi Masqué
#Fsociety