En 2003, elle écrit dans un autre journal, des articles relatant des affaires d’abus sexuels sur mineurs. Depuis le milieu des années 80, Lydia Cacho a beaucoup écrit dans les journaux et magazines sur la traite des êtres humains, le crime organisé, le trafic de drogue, la violence sexiste et la corruption officielle. Elle se spécialise alors dans la défense des droits des femmes et, en 2000, elle fonde un Centre pour l’assistance complète aux femmes, basé à Cancun, pour les victimes de violence et d’abus. Au cours de ses différentes recherches/enquêtes, elle utilise une caméra cachée, se déguise en nonne ou en prostituée, n’hésitant pas à se mettre en danger pour infiltrer ces milieux opaques. Elle portait même un appareil GPS afin que son corps puisse être retrouvé au cas où elle serait assassinée comme cela est arrivé à beaucoup d’autres collègues mexicains. Notons que de 2000 à 2020, 137 journalistes du pays ont été assassinés. Dans son livre intitulé « Los demonios del Edén » (Les Démons de l’Eden), publié en 2004, elle avance sur un terrain miné en dénonçant un réseau pédopornographique et de prostitution impliquant des hommes d’affaires proches du gouverneur de Puebla Mario de l’époque, Mario Marín. Certains noms sont cités : Jean Succar Kuri, Emilio Gamboa Patrón, Miguel Ángel Yunes et Kamel Nacif Borge. Lydia Cacho affirme que Succar pouvait compter sur des appuis solides au sein du PRI, un parti dominant du Mexique, notamment celui de l’ancien président de la République, José Lopez Portillo et qu’il a souvent servi de prête-nom à Nacif. Actionnaire de Tarrant Apparel Group (TAG), Succar a financé la construction de l’hôtel Marriott de Cancun et celle du célèbre casino Caesar’s Palace de Las Vegas. Succar, Mexicain d’origine libanaise, se vante également d’abuser de fillettes de cinq ans, a été arrêté en 2004 aux Etats-Unis, où il attend un jugement d’extradition vers le Mexique.
Cette bombe ne tardera pas à faire réagir les différents protagonistes et en décembre 2005, elle est arrêtée par une dizaine de policiers qui, sans mandat d’arrêt, l’ont emmenée de force de Cancun à Puebla dans un véhicule appartenant à l’homme d’affaires du textile José Kamel Nacif. Durant le trajet en voiture de Cancun à Puebla, un trajet interminable, de plus de 20 heures, la journaliste raconte avoir été torturée physiquement et psychologiquement par des hommes de mains, des policiers corrompus. Elle a aussi subi des attouchements, des avances sexuelles et des menaces de mort. Elle raconte qu’à son arrivée, des gardiennes l’avertissent qu’elle risque d’être violée en prison « avec un bâton », qu’elle a été enfermée dans un « cachot sale » et que ces hommes ont pris des photos d’elle nue à proximité d’une pièce remplie de policiers judiciaires derrière un miroir sans teint. Lydia est alors certaine que c’est Nacif qui est le commanditaire de cette arrestation abusive. Elle est libérée sous caution après quelques jours et cette affaire fait grand bruit, mobilisant Reporters sans frontières, l’Association interaméricaine de la presse et le Parlement européen, mais elle est toujours inculpée. Mais en 2006, La Jornada, quotidien de Mexico, publie des enregistrements des appels téléphoniques entre Nacif Borge, « le roi du blue-jean », propriétaire d’usines textiles dans l’Etat de Puebla et le gouverneur, Mario Marín, mettant en évidence le projet d’enlèvement et de torture pour réduire Lydia Cacho au silence et ce qui protègerait également son ami Succar, accusé de pédo. D’autres noms apparaissent alors : celui de Pablo Salazar Mendiguchía, des noms d’entrepreneurs du secteur textile dont un certain « Hubert » un français , Luis Angel Casas qui est coordinateur financier de la campagne électorale de Mario Marín, , Hanna Nakad Bayeh, dit « Juanito », et un journaliste d’un quotidien national et d’une radio prénommé Andrés ou « Muñeco ».C’est une deuxième bombe !
Un mois plus tard, le 13 mars 2006, le journaliste dénonce les deux protagonistes devant le parquet spécial pour les crimes liés à la violence contre les femmes et le bureau du procureur spécial pour les crimes commis contre les journalistes. Elle dépose également une plainte contre l’avocate de Puebla de l’époque , Blanca Villeda, et la juge Rosa Celia Pérez González, accusées de crimes de corruption, de trafic d’influence, d’abus de pouvoir, de tentative de viol et fausses déclarations. L’affaire ira loin puisqu’elle sera portée devant la Cour suprême de justice de la nation (SCJN). Le ministre Juan Silva Meza rédigera même un document relatant les attaques contre la journaliste. Le niveau de corruption est tel que l’affaire est classée le 29 novembre 2007, des ministres ayant conclu qu’il n’y avait pas eu de violation grave de leurs garanties individuelles ou alors « de façon négligeable ». Un coup de massue pour Lydia Cacho et le journalisme mexicain. «la Cour suprême a jugé que les politiciens corrompus ont toujours plus de pouvoir que les victimes de crimes». Des mandats d’arrêt ont été émis contre les principaux protagonistes et le gouverneur Marín a été arrêté et emprisonné. José Kamel Nacif, quant à lui, serait au Liban, un pays avec lequel le Mexique n’a pas de traités d’extradition, il ne risque donc rien. En décembre 2014, l’ancien commandant de la police ministérielle de Puebla, José Montaño Quiroz, a été arrêté pour des actes de torture et condamné à 5 ans de prison en 2017. En décembre 2018, c’est au tour de l’agent ministériel Alejandro Rocha d’être arrêté. Le 10 janvier 2019, le gouvernement fédéral a finalement présenté des excuses publiques à la journaliste après que le Comité des droits de l’homme des Nations Unies a jugé sa détention punitive et arbitraire. Malgré tout, Lydia Cacho reçoit encore des menaces de mort et elle doit fuir du Mexique en 2021 pour trouver refuge en Espagne. Un constat terrible : 98% des crimes contre des journalistes au Mexique restent impunis. Autant dire que la corruption et ses nombreux agents ont le champ libre pour organiser leurs affaires mafieuses.
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